Répertoire
Mille et une questions animent notre rapport au monde. Excès consuméristes / agitations spirituelles; débit élevé d’information / résurgence d’une paix intérieure ; replis identitaires / multiplication des échanges ; surgissement de nouvelles divisions / évanouissement des frontières… Faut-il déceler dans ce désordre apparent les prémices d’une nouvelle ère ? En tant qu’artistes, nous rejouons sans cesse nos utopies, Babel en toile de fond. Inventer et voyager se fondent en un seul horizon. C’est pourquoi nous avons fait de la migration, de la rencontre et du métissage notre terroir. Les terres à explorer sont infinies et nous aimons déplacer les lignes des cultures et des mémoires pour qu’elles convergent enfin. Peut-être est-ce l’exil du commencement qui nous a incités à remonter ainsi aux sources, à cheminer sur les traces de nos prédécesseurs, à rechercher inlassablement des alliés à notre créativité ? Peu importe, cette conscience d’appartenir
à plusieurs espaces-temps est aussi évidente qu’une respiration, qu’une inspiration.
Voilà ce que nous désirons partager dans notre musique : notre soif de grandir, d’apprendre de l’Autre et de soi, du passé et du présent, de mieux sentir et vivre pleinement le présent. Dans la continuité de notre récente création baroque, Premiers songes, ce sont les pages laissées par quelques-uns des plus fins compositeurs italiens de l’ère baroque que Constantinople s’offre le luxe de revisiter cette fois-ci. Le point de départ a été l’œuvre exceptionnelle de la compositrice et cantatrice Barbara Strozzi (1619-1677).
Digne héritière de Monteverdi, la Vénitienne éprise de madrigaux était fort douée pour enivrer les sens. Ses chants, profanes ou sacrés, à la fois passionnés, passionnants et virtuoses, lui ont valu
une place de choix parmi les compositeurs de l’ère baroque. Deux airs de Stefano Landi (1587-1639), un autre compositeur marquant de cette époque, se sont greffés à ce programme amoureux qui
prend vie à travers la voix suave de l’Acadienne Suzie LeBlanc.
À ces chants s’ajoutent des oeuvres instrumentales d’un autre génie italien aux racines germaniques, Giovanni Girolamo Kapsberger (c.1580-1651). La liberté qui souffle dans les recueils de ce luthiste fougueux constitue un terrain de jeu privilégié pour Constantinople, sans cesse désireux de s’affranchir des frontières culturelles de la vieille Europe. La poésie d’amour et les musiques de ces compositeurs sont portées par le brio et la légèreté mêlées
d’audace de nos musiciens férus d’improvisation. Sous le thème de la métamorphose musicale, cet enregistrement reflète notre désir de jeter un regard d’aujourd’hui sur la musique du passé.
À travers les oeuvres revisitées, nous tentons de retrouver la finesse et la sagesse d’esprit que l’homme du passé prenait le temps de chercher et de toucher. Nous voulons nous en inspirer et nous y abreuver afin de s’enrichir et de les transmettre à notre société.
« Le fleuve de l’oubli n’a pas assez d’eau
pour suffir à calmer mon incendie;
car pour éteindre le feu amoureux,
il faut une mer; et même, une mer est peu.
Je sais que pour les flammes des amants
toutes les mers, à la fi n, ne suffi sent pas. »
– Sebastiano Baldini,
Cantate Sino Alla Morte de Barbara Strozzi